Votre parcours est quelque peu atypique. Pourriez-vous nous le dérouler ?
Dr Vianney Jouhet : Après six années d’études de médecine, je me suis spécialisé en informatique médicale, d’abord lors de mon internat en santé publique, puis durant ma thèse de médecine qui portait, notamment, sur l'automatisation et l'extraction des informations à partir des registres Cancers de l’ex-région Poitou-Charentes. J’ai ensuite poursuivi mes travaux sur les registres Cancers, en Gironde cette fois, avant de rejoindre un an plus tard le CHU de Bordeaux en tant que praticien hospitalier. Rapidement, une mission m’a été confiée : réfléchir à la mise en place de l’entrepôt de données de santé (EDS) du CHU, et réaliser en parallèle une thèse de science sur la mise en place d’un entrepôt plutôt dédié aux données de cancérologie. À l’issue de celle-ci, donc en 2019, je suis parti en « mobilité » dans des départements d’informatique biomédicale, passant six mois à Paris, au sein du service du Pr Anita Burgun à l’hôpital Necker - Enfants malades et l’Hôpital Européen Georges Pompidou, et six autres mois à Harvard, aux États-Unis, auprès du Pr Paul Avillach dans le laboratoire du Pr Isaac Kohane.
Vous êtes depuis revenu au CHU de Bordeaux…
Ces expériences passionnantes ont clairement enrichi mon approche et mes travaux qui se concentrent, vous l’aurez compris, sur les entrepôts de données de santé. Depuis 2017 et l’inscription du projet d’EDS dans le projet d’établissement du CHU de Bordeaux, je n’ai d’ailleurs pas arrêté de travailler sur ce chantier qui occupe, aujourd’hui, la majeure partie de mon temps. L’initiative bordelaise est portée par une équipe médicale et non par la direction du système d’information. Sans opposer ces deux unités, qui bien sûr travaillent ensemble sur le projet, cette spécificité favorise la conception d’outils intégrant mieux les contraintes des utilisateurs finaux, soit les médecins chercheurs, les soignants, les biostatisticiens, les data scientists, les épidémiologistes…
Où en est ce projet aujourd’hui ?
Les travaux ont donc démarré en 2017 et ont depuis atteint un stade assez avancé, aussi bien sur le plan technique que de l'organisation et de la gouvernance. La dynamique commence à prendre, avec des outils applicatifs permettant des usages autonomes. Toute notre approche réside d’ailleurs dans cette volonté de développer des outils favorisant l’autonomie des utilisateurs finaux, en toute transparence et basés sur un code ouvert. Cela facilitera la maîtrise des chaînes de traitement dans leur intégralité, afin que les projets de vigilance, de surveillance sanitaire et de recherche soient basés sur des données de qualité.
L’EDS est-il déjà en production ?
Pas encore, mais nous devrons parvenir au cours de l’année 2023, à la phase de déploiement et de mise à disposition pour tous les utilisateurs du CHU. Il faut savoir que depuis 2017, nous avons été plutôt discrets sur nos travaux. Nous n’avons pas beaucoup communiqué à leur sujet, préférant nous concentrer sur le fond du projet, à savoir la création de briques fiables techniquement et qualitativement, qui permettent d’offrir cette autonomisation que nous évoquions précédemment. La plupart de ces modules sont aujourd’hui prêts, et seront progressivement proposés aux premiers utilisateurs. Notre entrepôt n'est donc à ce jour pas en production, mais en montée en charge. Nous recrutons des utilisateurs, pour la plupart issus du CHU et disposant déjà d’une certaine connaissance de ces outils, pour pouvoir faire face aux bugs éventuels et nous les remonter. Une cinquantaine de projets sont en cours pour 100 à 150 utilisateurs réguliers, et 5 000 à 6 000 requêtes sont déjà exécutées sur l'entrepôt.
Quid de la sécurité des données intégrées à l’EDS ?
Toutes sont stockées sur les serveurs internes du CHU de Bordeaux. Et, pour nous aligner avec le référentiel de la CNIL paru il y a deux ans, nous réalisons actuellement plusieurs travaux d’aménagement au sein de l’entrepôt. Mais plusieurs mesures de sécurité avaient déjà été mises en place en amont. Par exemple, une gouvernance spécifique et des règles précises s’appliquent aux modalités d’accès aux données. Leur périmètre est à la fois déterminé par la communauté médicale et les services concernés, mais aussi par un comité scientifique et éthique, chargé d'évaluer les projets des candidats. Ce cadre est nécessaire pour garantir un haut niveau de sécurité et accroitre la confiance des usagers. Sur ce point, nous travaillons également à la mise en place d’un « portail de la transparence », qui entend notamment impliquer davantage les usagers dans la gestion des données les concernant.
Certains vous décrivent comme « la nouvelle génération de l’informatique médicale ». Qu’en pensez-vous ?
Je considère plutôt l’informatique médicale comme un continuum rassemblant des personnes de toutes les générations, parfois plus âgées et parfois plus jeunes que moi. Ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’une spécialité très transversale, comme le montrent nos travaux au CHU de Bordeaux. Nous collaborons bien sûr avec des ingénieurs, mais les médecins sont aussi amenés à manipuler directement les données, et n’hésitent pas à coder lorsque cela est nécessaire. Et c’est d’ailleurs une dimension importante de l’informatique médicale qui doit, en ce qui me concerne, continuer à combiner technique médicale et informatique. Il est néanmoins utile d’intégrer l’ensemble des professionnels de santé aux réflexions autour de l’exploration des données de santé, et non uniquement les médecins. Les infirmiers, les dentistes, les pharmaciens, les maïeuticiens… Chaque spécialité issue du monde des soins a un point de vue différent sur la manière dont sa pratique peut exploiter les données de santé. Il faut donc continuer à élargir les profils recrutés au sein de notre discipline, sans pour autant délaisser les spécialités informatiques. L'avenir, à mon sens, réside justement dans cette capacité à mêler tous ces regards et toutes ces expertises, des personnes très techniques qui apprennent les volets métiers, et des professionnels du soin qui se forment à la dimension technique. C’est la direction vers laquelle nous tendons aujourd’hui, et elle est particulièrement stimulante vu les volumes croissants de candidats pour les masters alliant informatique et santé.
Article publié dans l'édition de mai 2023 d'Hospitalia à lire ici.
Dr Vianney Jouhet : Après six années d’études de médecine, je me suis spécialisé en informatique médicale, d’abord lors de mon internat en santé publique, puis durant ma thèse de médecine qui portait, notamment, sur l'automatisation et l'extraction des informations à partir des registres Cancers de l’ex-région Poitou-Charentes. J’ai ensuite poursuivi mes travaux sur les registres Cancers, en Gironde cette fois, avant de rejoindre un an plus tard le CHU de Bordeaux en tant que praticien hospitalier. Rapidement, une mission m’a été confiée : réfléchir à la mise en place de l’entrepôt de données de santé (EDS) du CHU, et réaliser en parallèle une thèse de science sur la mise en place d’un entrepôt plutôt dédié aux données de cancérologie. À l’issue de celle-ci, donc en 2019, je suis parti en « mobilité » dans des départements d’informatique biomédicale, passant six mois à Paris, au sein du service du Pr Anita Burgun à l’hôpital Necker - Enfants malades et l’Hôpital Européen Georges Pompidou, et six autres mois à Harvard, aux États-Unis, auprès du Pr Paul Avillach dans le laboratoire du Pr Isaac Kohane.
Vous êtes depuis revenu au CHU de Bordeaux…
Ces expériences passionnantes ont clairement enrichi mon approche et mes travaux qui se concentrent, vous l’aurez compris, sur les entrepôts de données de santé. Depuis 2017 et l’inscription du projet d’EDS dans le projet d’établissement du CHU de Bordeaux, je n’ai d’ailleurs pas arrêté de travailler sur ce chantier qui occupe, aujourd’hui, la majeure partie de mon temps. L’initiative bordelaise est portée par une équipe médicale et non par la direction du système d’information. Sans opposer ces deux unités, qui bien sûr travaillent ensemble sur le projet, cette spécificité favorise la conception d’outils intégrant mieux les contraintes des utilisateurs finaux, soit les médecins chercheurs, les soignants, les biostatisticiens, les data scientists, les épidémiologistes…
Où en est ce projet aujourd’hui ?
Les travaux ont donc démarré en 2017 et ont depuis atteint un stade assez avancé, aussi bien sur le plan technique que de l'organisation et de la gouvernance. La dynamique commence à prendre, avec des outils applicatifs permettant des usages autonomes. Toute notre approche réside d’ailleurs dans cette volonté de développer des outils favorisant l’autonomie des utilisateurs finaux, en toute transparence et basés sur un code ouvert. Cela facilitera la maîtrise des chaînes de traitement dans leur intégralité, afin que les projets de vigilance, de surveillance sanitaire et de recherche soient basés sur des données de qualité.
L’EDS est-il déjà en production ?
Pas encore, mais nous devrons parvenir au cours de l’année 2023, à la phase de déploiement et de mise à disposition pour tous les utilisateurs du CHU. Il faut savoir que depuis 2017, nous avons été plutôt discrets sur nos travaux. Nous n’avons pas beaucoup communiqué à leur sujet, préférant nous concentrer sur le fond du projet, à savoir la création de briques fiables techniquement et qualitativement, qui permettent d’offrir cette autonomisation que nous évoquions précédemment. La plupart de ces modules sont aujourd’hui prêts, et seront progressivement proposés aux premiers utilisateurs. Notre entrepôt n'est donc à ce jour pas en production, mais en montée en charge. Nous recrutons des utilisateurs, pour la plupart issus du CHU et disposant déjà d’une certaine connaissance de ces outils, pour pouvoir faire face aux bugs éventuels et nous les remonter. Une cinquantaine de projets sont en cours pour 100 à 150 utilisateurs réguliers, et 5 000 à 6 000 requêtes sont déjà exécutées sur l'entrepôt.
Quid de la sécurité des données intégrées à l’EDS ?
Toutes sont stockées sur les serveurs internes du CHU de Bordeaux. Et, pour nous aligner avec le référentiel de la CNIL paru il y a deux ans, nous réalisons actuellement plusieurs travaux d’aménagement au sein de l’entrepôt. Mais plusieurs mesures de sécurité avaient déjà été mises en place en amont. Par exemple, une gouvernance spécifique et des règles précises s’appliquent aux modalités d’accès aux données. Leur périmètre est à la fois déterminé par la communauté médicale et les services concernés, mais aussi par un comité scientifique et éthique, chargé d'évaluer les projets des candidats. Ce cadre est nécessaire pour garantir un haut niveau de sécurité et accroitre la confiance des usagers. Sur ce point, nous travaillons également à la mise en place d’un « portail de la transparence », qui entend notamment impliquer davantage les usagers dans la gestion des données les concernant.
Certains vous décrivent comme « la nouvelle génération de l’informatique médicale ». Qu’en pensez-vous ?
Je considère plutôt l’informatique médicale comme un continuum rassemblant des personnes de toutes les générations, parfois plus âgées et parfois plus jeunes que moi. Ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’une spécialité très transversale, comme le montrent nos travaux au CHU de Bordeaux. Nous collaborons bien sûr avec des ingénieurs, mais les médecins sont aussi amenés à manipuler directement les données, et n’hésitent pas à coder lorsque cela est nécessaire. Et c’est d’ailleurs une dimension importante de l’informatique médicale qui doit, en ce qui me concerne, continuer à combiner technique médicale et informatique. Il est néanmoins utile d’intégrer l’ensemble des professionnels de santé aux réflexions autour de l’exploration des données de santé, et non uniquement les médecins. Les infirmiers, les dentistes, les pharmaciens, les maïeuticiens… Chaque spécialité issue du monde des soins a un point de vue différent sur la manière dont sa pratique peut exploiter les données de santé. Il faut donc continuer à élargir les profils recrutés au sein de notre discipline, sans pour autant délaisser les spécialités informatiques. L'avenir, à mon sens, réside justement dans cette capacité à mêler tous ces regards et toutes ces expertises, des personnes très techniques qui apprennent les volets métiers, et des professionnels du soin qui se forment à la dimension technique. C’est la direction vers laquelle nous tendons aujourd’hui, et elle est particulièrement stimulante vu les volumes croissants de candidats pour les masters alliant informatique et santé.
Article publié dans l'édition de mai 2023 d'Hospitalia à lire ici.