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« L’accréditation a été un carcan plus restrictif qu’utile »


Rédigé par Rédaction le Lundi 31 Août 2020 à 09:01 | Lu 1007 fois


En charge du traitement des tests PCR, les biologistes hospitaliers ont participé activement à la lutte contre le Covid-19. Comme les autres spécialités médicales, ils se sont adaptés pour répondre aux enjeux de la crise, ainsi que nous l’explique le Docteur Xavier Palette, président du Syndicat National des Biologistes des Hôpitaux (SNBH).



Xavier Palette, président du SNBH. ©DR
Xavier Palette, président du SNBH. ©DR
« Test, test, test », recommandait Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l'OMS lors d'une conférence de presse à Genève le 16 mars, alors que la pandémie était en plein essor. Comment les laboratoires de biologie médicale (LBM) français se sont-ils alors adaptés ? 
Dr Xavier Palette : Dès l’annonce de premiers cas Covid en France, les LBM hospitaliers ont dû réagir et s’organiser au plus vite pour mettre en place les tests de diagnostic par RT-PCR à partir de prélèvements nasopharyngés. Les Agences Régionales de Santé (ARS) ont donné leur feu vert à l’achat de matériel et de réactifs pour équiper en priorité les plus grosses structures, comme les laboratoires pivots des Groupements Hospitaliers de Territoires (GHT). Compte tenu de l’ampleur de la vague épidémique qui a déferlé dans certaines régions, les ARS ont dû rapidement autoriser également des laboratoires d’établissements plus petits à pratiquer les tests.

Certains ont tout de même dû attendre plusieurs semaines avant d’être opérationnels…
Face à la demande, les délais de livraison et de mise en route technique ont souvent été retardés pour ceux qui devaient s’équiper dans l’urgence. Nous sommeségalement nombreux à avoir dû faire régulièrement face à des pénuries de réactifsavec la contrainte de devoir sous-traiter les RT-PCR ; certains LBM se sont ainsi tournés vers de plus grosses structures, comme des groupes de laboratoires privés ou comme l’hôpital de La Pitié Salpêtrière en Île-de-France, dont le LBM a été l’un des premiers à être capable de traiter chaque jour un grand nombre de prélèvements. Le volume de demandes que nous recevions était globalement très important. Cette période a donc été particulièrement compliquée pour les biologistes et pour les personnels de nos laboratoires... Ils n’en ont pas moins su être présents et efficaces alors que le défi était de taille. 

L’obligation de rendu des résultats dans les 24 heures et l’augmentation du nombre de tests PCR réalisés a forcément eu un impact sur l’organisation des laboratoires hospitaliers. Comment y avez-vous répondu ? 
Malgré les tensions, nous avons su répondre à l’urgence de la demande. Beaucoup d’hôpitaux ont pratiqué les tests de dépistage 7j/7 et nos confrères ont souvent travaillé plus de 10 ou 12 heures par jour pendant cette période très tendue. Le nombre des patients suspects d’être infectés par le Covid-19 a nécessité une organisation sécurisée des circuits de prélèvements afin de protéger les personnels de soins et médico-techniques. Nous devions en outre transmettre les résultats au médecin prescripteur ainsi qu’à l’ARS. Cette dernière étape, nécessairement quotidienne puisque les résultats doivent être disponibles au plus tard 24h après le prélèvement, ne se déroule par transmission directe que depuis la fin du confinement. Il est désormais plus aisé de transmettre nos résultats via la plateforme nationale SI-DEP qui informe la Sécurité Sociale, aujourd’hui en charge du suivi des cas contacts. 

Ces changements d’organisation auront-ils des conséquences à moyen et long terme ? 
Comme pour tous les services et toutes les spécialités médicales, la crise sanitaire risque en effet d’avoir un impact sur le long terme. Face à l’urgence, nombre de procédures et contraintes administratives ont été levées et les personnels hospitaliers dans leur ensemble ont démontré qu’ils pouvaient d’autant plus réagir et se montrer efficaces qu’ils étaient affranchis de ces lourdeurs. Concernant les laboratoires, nous avions demandé au ministre des Solidarités et de la Santé de nous accorder la possibilité de pouvoir reporter ultérieurement les évaluations d’accréditation par le COFRAC, programmées pendant la durée du Plan Blanc. Pour ceux qui se sont retrouvés submergés par la prise en charge des patients Covid, il n’était pas envisageable de faire face aux priorités dictées par la crise sanitaire en demeurant conformes à l’ensemble des exigences de l’accréditation. Ne serait-ce que pour les laboratoires qui ont mis en place les RT-PCR alors qu’ils n’étaient pas accrédités au préalable pour cette méthode analytique... 

Cela fait d’ailleurs plusieurs années que le SNBH appelle à revoir en profondeur les modalités de l’accréditation.
Celle-ci se révèle, sur certains points, un carcan plus restrictif qu’utile, trop contraignante et inadaptée à notre exercice médical. Dans les établissements de santé, notamment dans le secteur public hospitalier, elle demande du temps et des effectifs que bien souvent nous n’avons pas. Cet état de fait engendre un véritable mal-être chez les biologistes, qui sont monopolisés pour répondre aux exigences de l’accréditation au détriment de leur métier premier. Nous devrons, à l’avenir, travailler avec le COFRAC pour mettre au point une procédure garantissant la qualité des examens, sans pour autant être contraints à un « tout normatif »vécu par beaucoup de biologistes comme une perte de sens de leur engagement au service des médecins prescripteurs et des patients. 




 

Julien Obiols, responsable du laboratoire de biologie médicale du CH de Béziers. ©DR
Julien Obiols, responsable du laboratoire de biologie médicale du CH de Béziers. ©DR

À Béziers, des tensions sur les réactifs et des PCR au départ sous-traités

Si les grandes structures privées ont rapidement pu se doter en matériel pour faire face à la crise sanitaire, les laboratoires de plus petite taille ont dû attendre avant d’être complètement opérationnels. « Les difficultés des LBM dans les centres hospitaliers n’ont pas été assez mises en lumière au niveau national et dans les médias,constate le Dr Julien Obiols, responsable du laboratoire de biologie médicale du CH de Béziers. Pour notre part, par exemple, nous avons dû faire face à une pénurie de réactifs et des difficultés d’approvisionnement en écouvillons. Il nous a également fallu nous équiper pour pouvoir réaliser des tests PCR, car nous n’en faisions pas habituellement. Nous avons également dû renforcer les mesures d’hygiène et de sécurité afin d’encadrer la manipulation d’un virus de classe 3, devenu fréquent ». Face à tous ces défis, le laboratoire hospitalier de Béziers n’a pas pu traiter immédiatement les PCR lui-même. Il s’est donc tourné vers le CHU de Montpellier puis vers un acteur privé local, garantissant ainsi la remise des résultats en 24-48 heures. Cette solution provisoire a permis à l’établissement de répondre à la demande le temps d’être opérationnel. Courant juin, et grâce à l’aide de la direction du CH de Béziers et de l’ARS, l’équipe d’une quarantaine de personne du LBM de Béziers va être en mesure de réaliser les PCR chaque jour. « Nous nous sommes équipés dans un objectif de 50 à 100 PCR par jour, et la sérologie va bientôt être déployée », poursuit Julien Obiols qui aimerait ainsi pouvoir garantir l’autonomie et l’offre de soins du laboratoire sur le long terme. 



 

Jean-Paul Feugeas, président du SNMBCHU. ©DR
Jean-Paul Feugeas, président du SNMBCHU. ©DR

« En une semaine, nous avons eu des extracteurs parfois demandés depuis un an »

Médecin biologiste au CHU de Besançon, le Professeur Jean-Paul Feugeas est également à la tête du Syndicat national des médecins biologistes de CHU (SNMB-CHU). Il est responsable du plateau de biologie moléculaire où sont traités les tests PCR liés au Covid-19. « Au début, nous étions relativement peu équipés, confie l’intéressé. On entend souvent parler de la pénurie de moyens dans les services d’urgences, mais les laboratoires hospitaliers sont souvent confrontés à la même problématique. On manque régulièrement de matériel et de personnel ». La crise sanitaire a toutefois permis une certaine prise de conscience sur la nécessité d’augmenter les budgets hospitaliers. Beaucoup de centres hospitaliers ont bénéficié d’un achat rapide d'automates. « En une semaine, nous avons eu des extracteurs parfois demandés depuis un an, précise le médecin.Beaucoup de laboratoires ont pu aussi recruter des techniciens du jour au lendemain alors que l’embauche d’un technicien peut prendre jusqu'à trois ans de discussions. Les procédures d’accréditation COFRAC ont, elles aussi, été arrêtées pendant cette période. Combinées, toutes ces actions nous ont permis de relever les défis nés avec la crise sanitaire ». Comme pour bon nombre de ses confrères, cet allègement des freins auxquels il fait habituellement face donne au Bisontin l’espoir d’une amélioration. Pourtant, le biologiste n’est « pas très optimiste » « Nous allons garder les automates. Le personnel supplémentaire restera peut-être pendant un an afin de nous aider, notamment lors des campagnes de dépistages. Il est cependant à craindre que les restrictions budgétaires et les procéduresd’accréditations ne se remettent en place dans leurs formes “normales“, "comme avant" »



 

Louis Lacaille, praticien hospitalier aux Hospices Civils de Lyon. ©DR
Louis Lacaille, praticien hospitalier aux Hospices Civils de Lyon. ©DR

Aux Hospices Civils de Lyon, « nous avons connu un état de grâce administratif »

Praticien hospitalier aux Hospices Civils de Lyon, le Dr Louis Lacaille exerce au laboratoire de biochimie. Une position qui lui a permis de participer aux tests effectués sur les malades du Covid-19. « Nous menions principalement des analyses sur la procalcitonine (PCT), le NT-Pro-BNPainsi que des gazométries sanguines », explique-t-il. Utilisés pour orienter les patients suivant leur état clinique, ces tests, moins médiatisés que les tests RT-PCR et sérologiques, ont pourtant joué un rôle majeur dans la lutte contre le Covid-19 : le premier est en effet un biomarqueur d’infections bactériennes sévères, tandis que le second permet de détecter les insuffisances cardiaques. « Nous avons connu des tensions sur le matériel et les réactifs,complète le médecin. Chaque semaine, nous devions nous battre pour pouvoir continuer à rendre tous les résultats demandés ». Mais la crise a également eu des effets positifs : à l’instar des autres services hospitaliers, les freins administratifs ont aussi été levés, ce qui amène même le jeune biologiste à parler « d’état de grâce pendant 10 semaines »« Au terme de cette période intensive, la situation redevient progressivement à la normale, nous retrouvons nos formulaires et la multiplication des réunions », ajoute l’intéressé, qui s’interroge pourtant sur l’impact financier de la crise sur les prochains mois. « J’ai bien peur que les pouvoirs publics ne se concentrent trop sur une possible 2èmevague, sans prêter véritablement attention aux services non directement concernés », poursuit Louis Lacaille. Membre du conseil d’administration du Syndicat des Jeunes Biologistes Médicaux (SJBM), le pharmacien biologiste médical s’inquiète aussi du financement des tests liés au Covid : « La codification NABM des tests RT-PCR et de sérologies, respectivement à 54 € et 12,15 €, est trop faible par rapport au coût réel. Si les pouvoirs publics veulent mettre en place une stratégie de lutte basée sur les tests, il va falloir investir et donc étendre l’enveloppe NABM, dont les tarifs ont été négociés au tout début de l’année. J’ai de réels doutes sur le futur. Alors que certains parlent du monde d’après, j’ai l’impression que nous, nous revenons progressivement dans le monde d’avant ».  



 

Article publié sur le numéro de juin d'Hospitalia à consulter ici : https://www.hospitalia.fr/Hospitalia-49-Special-Covid-19-MERCI-_a2230.html  







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